Interview de Xavier Bettel avec Paris Match

Xavier Bettel: "Pour moi, la meilleure prévention d'un conflit, c'est de l'éviter !"

Interview : Paris Match (Emmanuelle Jowa)

Emmanuelle Jowa : Qu'avez-vous retenu en priorité de ce sommet de l'Otan à Bruxelles?

Xavier Bettel : J'en retiens l'unité, quand même, au niveau des partenaires. Une unité qui permet de construire quelque chose en commun et le conserver. L'engagement de chacun de lutter contre le terrorisme. C'est une décision importante qui a été prise. Personne n'a dit qu'on devait moins faire. Tout le monde a souhaité continuer à travailler ensemble, tout en insistant sur la coopération. C'est un point sur lequel j'ai insisté aussi au Conseil de l'Otan, et je le fais chaque fois qu'on est dans une réunion de contexte militaire: mon pays investit 1 % du RNB (revenu national brut) dans la coopération. Pour moi, la meilleure prévention d'un conflit, c'est de l'éviter ! Aider les jeunes dans les pays défavorisés est à mes yeux la meilleure prévention pour éviter la radicalisation, leur donner une perspective et un futur. Et la politique de coopération est la meilleure arme, si je peux me permettre le jargon militaire, contre le conflit. Mais on a des obligations, on est membre de l'Otan et on continue à participer à ce projet commun.

Emmanuelle Jowa : De nombreux commentaires rappelaient à Donald Trump que l'Otan, ce n'est pas en effet uniquement des chars, des armes et des moyens financiers concrets, c'est aussi un esprit.

Xavier Bettel : Regardons ce qu'on fait en Afghanistan. On essaie de stabiliser les institutions. On essaie de donner une formation aux gens qui y travaillent, aux fonctionnaires. C'est de la politique de prévention. L'Otan n'est effectivement pas que des armes. C'est aussi une garantie pour certains Etats qui, aujourd'hui, ont peur. Mais c'est avant tout une prévention, comme dans le cas de l’Afghanistan ou dans les pays d’Afrique, où une instabilité peut résulter demain en un conflit. 

Emmanuelle Jowa : Qu'avez-vous pensé du discours du président américain dans lequel il recadrait les "mauvais payeurs" de l'Otan ? Vous vous attendiez à ce rappel à l'ordre?

Xavier Bettel : On va dire que monsieur Trump était décidé et qu'il a voulu nous faire passer son message. Mais je ne sais pas si c'était le moment pour le faire.

Emmanuelle Jowa : Lors de ce sommet, on vu l'entente ostensible que vous avez avec Charles Michel, avec Emmanuel Macron aussi, que tout le monde attendait. Ce dernier partage avec vous la jeunesse, une ouverture sociale, une foi dans les idées libérales et un mode de vie peu conventionnel a priori. Vous avez en commun avec lui et certains représentants de la "nouvelle génération" politique une vitesse de performance remarquée.

Xavier Bettel : Il y a Justin Trudeau aussi. Nous sommes tous d'une même nouvelle génération. Mais ce sont surtout les idées qui nous unissent. Que ce soit Justin Trudeau, Charles Michel, Emmanuel Macron ou moi, nous partageons les mêmes valeurs. Nous sommes des élus que je me permets de qualifier de socio-libéraux, donc qui mettent l'homme au centre de leurs préoccupations, qui n'ont pas de dogmes qui leur imposent quoi que ce soit. Ce sont davantage les programmes sur lesquels nous avons été élus qui ont fait que nous avions des atomes crochus avant même de nous rencontrer. Charles Michel est quelqu'un que je connais depuis longtemps. Il n'aurait pas été à mon mariage avec Amélie (Amélie Derbaudrenghien, sa compagne) si je ne l'appréciais pas. Quant à Emmanuel Macron, je le connais d'avant son titre de président, avant qu'il ne domine les sondages.

Emmanuelle Jowa : Sur la photo de groupe prise lors du sommet de l'Otan, vous donnez l'image d'une Europe forte face à une Amérique vieillissante - si on parle des Etats-Unis, bien sûr.

Xavier Bettel : On m'a envoyé beaucoup de commentaires sur cette photo de l'Otan, de nombreux mots d'espoir. Le président Macron a besoin d'une majorité pour appliquer son programme (l'entretien a eu lieu avant les législatives des 11 et 18 juin, NDLR). S'il n'a pas de majorité, ce sera très dur. Et sur la photo, il y a Justin qui est canadien, qui n'est pas un collègue européen. Ce n'est pas juste le fait d'être d'Europe ou pas d'Europe, d'être jeune ou pas, mais le fait de défendre les mêmes valeurs et idées.

Emmanuelle Jowa : Que dire de la décision de Trump de se retirer de l'accord de Paris sur le changement climatique?

Xavier Bettel : Le changement climatique est une réalité. Tout le monde peut s'en apercevoir. Il faut réagir. C'est un problème global qui nécessite une solution globale et multilatérale. Il n'y a pas d'alternative. Je regrette la décision des Etats-Unis. C'est une politique dont le prix sera payé par les générations futures. La décision est d'ailleurs contestée par de nombreux Etats américains qui, eux, ont signalé vouloir respecter les accords de Paris.

Emmanuelle Jowa : Il y a eu pléthore de commentaires quant à l'orientation politique d'Emmanuel Macron : centre, droite, gauche, bien au contraire... Tout a été évoqué. Avec ce social-libéralisme qu'il incarne, le centrisme, longtemps tenu pour modeste en France, semble reprendre du poil de la bête. 

Xavier Bettel : Il faut quand même réaliser qu'en 2017, les gens peuvent être progressistes sur les questions de société sans devoir être socialistes ! Et qu'on peut aussi être, économiquement parlant, à tendance libérale sans être conservateur. Alors qu'en France, c'était l'un ou l'autre. On devait être de droite et conservateur pour pouvoir être économiquement un peu plus libéral et si on était plus ouvert sur les questions de société, on était obligé d'être socialiste... Heureusement qu'il y a enfin un milieu! Je représente quant à moi au Grand-Duché le Parti démocratique qui, je le répète, est un parti social-libéral. Et je suis content qu'en France il y ait enfin quelqu'un qui incarne et mette en oeuvre cette ligne politique. Le bipolarisme, c'est terminé. C'est une évolution, car les gens n'ont pas voulu laisser guider leur choix par les "clivages classiques" : ils ont voulu opérer ce choix eux-mêmes. Ils ont donc donné sa chance à quelqu'un d'autre. 

Emmanuelle Jowa : Avez-vous l'espoir que cela se généralise, alors même que certains parlent toujours de "droitisation" généralisée - Trump, Theresa May, la montée de Marine Le Pen en France... Ou sommes-nous au contraire, au vu du succès d'un Macron, en fin de cycle d'une droite "pure"?

Xavier Bettel : Cela fait des années qu'on parle de droitisation ! Rappelons-nous que Jörg Haider était en Autriche au gouvernement, quand même ! C'était il y a longtemps déjà (en 1999, Haider remportait 26,9 % des voix aux élections législatives, permettant à sa formation, le FPÖ, un parti d'extrême droite fondé par d'anciens nazis, d'entrer pour sept ans au gouvernement, NDLR). Regardez Jean-Marie Le Pen, on oublie parfois qu'il était au deuxième tour contre Jacques Chirac (en 2002). Ce n'était pas hier, et c'était avant la crise ! Vous avez vu les dernières élections (les législatives de mars 2017) aux Pays-Bas, où tout le monde s'imaginait que Geert Wilders (fondateur du VVD, nationaliste, souverainiste et populiste) allait l'emporter? En Autriche, on pensait aussi que le FPÖ allait l'emporter. Or non. Donc c'est cyclique. Tout ce qu'il faut, c'est combattre ces idées. Qu'ils soient forts ou pas forts, il ne faut surtout pas suivre leurs leaders ! Il faut garder notre ADN et arrêter d'imiter l'extrême droite parce qu'on a l'impression que c'est porteur ou que ça résoudrait certains points. Et puis, on parle d'extrême droite, mais n'oublions pas qu'aux élections françaises, les deux extrêmes étaient très forts.


Emmanuelle Jowa : Theresa May est plus dure, plus thatchérienne que David Cameron. Comment le contact passe-t-il avec elle? (L'entretien a lieu avant les élections du 8 juin, au cours desquelles la tête du gouvernement britannique a perdu la majorité absolue au parlement, NDLR)

Xavier Bettel : J'avais de bons contacts avec David Cameron, avec Mme May aussi, mais la situation relationnelle entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne est très différente. Là où avant, avec David Cameron, nous avions un partenaire, nous essayions de construire des choses ensemble, nous nous retrouvons aujourd'hui avec Theresa May dans une procédure de divorce. La relation de travail n'est pas la même. Avec David Cameron, et même si ce n'était pas toujours facile avec la Grande-Bretagne, on essayait systématiquement de travailler sur la convergence. Aujourd'hui, nous sommes en train de voir jusqu'où nous pouvons aller sur les divergences. Je regrette sérieusement la décision du peuple britannique, mais je la respecte.

Emmanuelle Jowa : Avez-vous le sentiment, comme cela a déjà été beaucoup exprimé, que les Britanniques regrettent déjà ce choix?

Xavier Bettel : On était membre d'une même famille, mais on restera toujours voisins. Et on est amis, même si on n'est plus autour de la même table au niveau de l'Union européenne. On nous a dit, lors du référendum du 23 juin l'année dernière : "On quitte, ça va se passer comme ça". Or ils ont mis presque dix mois pour nous annoncer qu'ils voulaient déclencher l'article 50 (l'article 50 du Traité de Lisbonne qui régit le divorce du Royaume-Uni avec I'UE : c'est sa mise en oeuvre qui règle la sortie des Britanniques de l'Union européenne, NDLR). On a vu que des propos qui ont été tenus pendant la campagne étaient faux. Même le lendemain des élections, certains ont reconnu qu'il y avait eu des inexactitudes, des déformations par rapport, par exemple, à la sécurité sociale dans l'Union. On a au Luxembourg un raisonnement qui n'est pas de les punir, mais de faire respecter les mêmes règles pour tous. On ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière ! Sinon, on donne le message après que chacun ait choisi ce qu'il veut...

Emmanuelle Jowa : A la carte, donc.

Xavier Bettel : Même pas à la carte. Vous savez, actuellement, on parle beaucoup d'Europe à plusieurs vitesses. Je fais partie de ces politiques qui préfèrent une Europe à deux vitesses qu'une Europe au point mort. S'il y a l'un ou l'autre pays qui me bloque sur certains dossiers, je veux pouvoir avancer. Et ça existe aujourd'hui, la coopération renforcée. On a l'impression qu'on invente quelque chose, alors que c'est faux. On l'a fait avec l'euro, avec Schengen, ça ne concernait pas les 28 pays membres. Prenons Europol, par exemple : certains pays, comme le Danemark, n'en font pas partie. Le parquet européen, tout le monde n'a pas adhéré à cette idée... Donc, on a déjà aujourd'hui la possibilité de mettre en oeuvre des coopérations renforcées sur certains sujets. Le but, c'est toujours de travailler à 27, mais là où on voit que ça coince, il faut pouvoir continuer à progresser. Et si la Grande-Bretagne a choisi de partir, une fois encore, c'est son choix. Même si je ne me réjouis évidemment pas de cette décision.

Emmanuelle Jowa : De nombreuses entreprises ont déjà quitté la City. Une institution comme Lloyds va s'installer à Bruxelles. Récemment, l'assureur australien QBE a exprimé l'idée d'implanter son centre névralgique en Belgique. Luxembourg a déjà séduit nombre de compagnies britanniques.

Xavier Bettel : Chaque société qui fait une étude intelligente vient à la conclusion que le Luxembourg est vraiment une bonne place alternative pour venir s'installer au niveau européen. Je n'ai pas fait le vautour au lendemain du référendum en survolant la City de Londres pour voir quelles parties je pouvais faire arriver ici! Mais je vois que les choix se sont opérés assez rapidement. On a deux places financières européennes qui existaient, Londres et Luxembourg. Aujourd'hui, Londres reste une place financière importante au point de vue international, c'est important pour moi qu'elle le reste, nous travaillons avec eux. Mais en même temps, le choix de nombreuses sociétés est de venir s'installer au Luxembourg et je m'en réjouis.

Emmanuelle Jowa : Lors de ce sommet de l'Otan, le programme parallèle destiné aux "first ladies" a fait couler beaucoup d'encre. C'est surtout la présence de votre époux, Gauthier Destenay, que les médias et le grand public ont retenue.

Xavier Bettel: Il a été surpris par toute cette attention. C'est quelque chose de normal pour nous. On vit notre vie naturellement et quand on lui a demandé s'il voulait participer à ce programme, Gauthier a tout de suite accepté avec plaisir. Le but n'était pas de démontrer quoi que ce soit. Vous savez, l'homosexualité n'est pas un choix, l'homophobie en est un ! Il a donc été présent. De manière générale, il reçoit de nombreuses lettres de soutien, mais aussi des messages moins gentils.

Emmanuelle Jowa : Vous disiez avoir été étonné vous-même par l'ampleur de la couverture médiatique de ces visites parallèles.

Xavier Bettel : C'est vrai. D'une part, il y a eu l'impact de la photo de groupe. D'autre part, le fait que la Maison-Blanche aurait soi-disant oublié de mentionner Gauthier dans sa présentation. Une fois encore, croyez-moi, pour lui, c'était simplement le fait de participer à quelque chose de commun avec les autres conjoints qui l'a motivé.

Emmanuelle Jowa : Vous avez contribué à faire progresser la cause du mariage gay.

Xavier Bettel : Non, non, non ! Le mariage gay a été préparé par l'ancien gouvernement et on m'a demandé quand je suis arrivé au pouvoir si je voulais le faire passer ou pas, parce qu'on allait peut-être me reprocher, comme j'étais homo, de vouloir le mettre en place. Or le texte était prêt. Je n'allais pas faire attendre des centaines de personnes parce que j'étais concerné moi-même ! Donc le texte a suivi sa procédure normale. Il est entré au parlement et a été voté avec 56 voix sur 60. Sans manifestations dans la rue, sans déchirure de société, sans se blâmer les uns les autres, les pros et les contras... Ça s'est fait de manière naturelle et je suis fier du Grand-Duché, où l'on ne juge pas les gens sur des questions d'ordre privé, mais sur le travail qu'ils font. En tant que démocrate, en tant que libéral, mon but politique est simplement de répondre aux situations qui existent dans la société. Ce n'est pas à nous de décider comment les gens ont à vivre, mais à nous de prévoir les différentes formes de vie et de donner des garanties à celles-ci.

Emmanuelle Jowa : Certes, la loi était prête, mais vous avez néanmoins fait avancer le sujet auprès du grand public en incarnant cette homosexualité assumée, décomplexée, sans non plus la brandir à toute occasion.

Xavier Bettel : Mais c'est naturel. Certains journaux me présentent comme le "Premier ministre gay". Or je suis Premier ministre, et je suis gay. ll faut arrêter de mettre tout ensemble. Lors de notre mariage, j'ai reçu des lettres de chefs d'Etat qui m'ont dit: "Vous avez fait un pas énorme pour l'Histoire." Par exemple, la photo de groupe avec Gauthier est considérée comme historique... Le meilleur moyen pour faire avancer les choses, c'est de montrer que ça se passe comme ça, point. Je n'ai besoin ni de le revendiquer, ni de le cacher. Je n'ai qu'une vie et elle est comme ça.

Emmanuelle Jowa : Le Grand-Duché est à la pointe sur nombre de sujets éthiques, l'adoption par les couples homosexuels, l'euthanasie, l'IVG... 

Xavier Bettel : Beaucoup de gens l'ignorent mais il y avait, avant que je n'arrive au pouvoir, un texte dans lequel il était spécifié que la femme qui voulait avorter devait aller expliquer à quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, hors son médecin, pourquoi elle voulait avorter. Je trouve que c'était tellement blessant pour une femme de devoir aller justifier ce choix, le plus personnel dans sa vie, à un inconnu. C'était une consultation obligatoire. II fallait aussi qu'il y ait presque une détresse obligatoire. On a fait supprimer ce texte. Le législateur est là pour répondre aux demandes des gens tant que celles-ci n'empiètent pas sur le droit des autres. 

Emmanuelle Jowa : Le droite vote aux étrangers, en revanche, une ouverture que vous préconisiez, n'est pas passé. Lors du référendum du 7 juin 2015, les électeurs ont rejeté la proposition, ainsi que celle de l'abaissement de la majorité électorale à 16 ans. Vous avez abandonné l'idée?

Xavier Bettel : Un peu plus de 80 % des électeurs l'ont rejetée, le résultat du référendum a été clair et je le respecte.

Emmanuelle Jowa : Cette décision populaire peut paraître paradoxale dans un pays où l'immigration est intense, et où plus de 45 % de la population est étrangère. C'est aussi son ADN.

Xavier Bettel : Les gens préfèrent que l'on prenne la nationalité luxembourgeoise si l'on veut aller voter. C'est un choix. En plus, la double nationalité existe au Grand-Duché et nous avons adapté les modalités d'accès à la nationalité luxembourgeoise. Donc, c'est sans problème. Ça a été la réponse de la grande majorité des gens, mais ce n'est pas un signe de manque d'ouverture.

Emmanuelle Jowa : La séparation de l'Eglise et de l'Etat est un autre de vos combats. L’accord que vous avez conclu avec les représentants des cultes, qui prévoit une diminution des subventions aux cultes et la fin de la rémunération des ministres du culte, fera partie de la révision constitutionnelle.

Xavier Bettel : La séparation de l'Eglise et de l'Etat est dans l'intérêt de tous. L'Eglise a son indépendance, elle se gère elle-même. Je trouve normal qu'à l'avenir les, curés ne soient plus tous rémunérés par l'Etat. Avant, on séparait les enfants dès leur plus jeune âge selon le culte des parents. On a retiré les cours de religion des écoles. Ils sont devenus facultatifs. Il était important de pouvoir dater de nouveaux textes : 2017, 2018... Important donc d'écrire un Luxembourg du futur, et pas du passé. Et les questions de société font partie de la modernité d'un pays. Certains ont dit : "Bettel fait une révolution au Luxembourg." Je n'aime pas l'idée d'une révolution, car ça revient souvent à imposer quelque chose par la force. Ça signifie qu'on se révolte contre quelque chose. Je n'ai pas fait une loi contre l'Eglise, mais une loi avec les cultes à travers laquelle j'ai modernisé mon pays.

Emmanuelle Jowa : Vous avez supprimé les cours de religion dans les écoles publiques. Avez-vous maintenu les cours de morale laïque?

Xavier Bettel : Il n'y aura plus de cours de religion ni de morale laïque. En remplacement, on va organiser un cours commun des valeurs, des religions, en expliquant qu'il n'y en a pas qu'une ! Ce sont des cours de religions comparées, avec historique. On évoquera aussi les valeurs dans la société. On veut pouvoir parler des dérives, des dérives sectaires entre autres.

Emmanuelle Jowa : C'est aussi un cours de citoyenneté?

Xavier Bettel : Oui, et c'est valable pour tous les élèves de l'école publique. Avant, il y avait ceux qui faisaient la communion, ceux qui ne la faisaient pas, ceux qui étaient juifs ou musulmans, et on les classait dès le départ dans différentes classes pendant quelques heures. Nous ne sommes pas d'accord et nous les plaçons ensemble. Il est important que le catholique sache très tôt qu'il y a des musulmans, des juifs, que l'orthodoxe sache qu'il y a des protestants, etc. C'est ça, apprendre à se connaître.

Emmanuelle Jowa : Quelle forme de laïcité est-elle pratiquée par le Grand-Duché?

Xavier Bettel : Le Luxembourg est historiquement un pays de tradition catholique. Mais l'Etat n'a pas à se mêler de religion. Avant, par exemple, la Fête nationale, c'était un Te Deum et une parade militaire... Donc celui qui était laïc ou qui n'était pas "à fond" militaire n'avait rien. Et l'acte central du gouvernement a été là. Dès que j'ai pu le faire, j'ai modifié les choses. Je vous l'ai dit, je veux une évolution, pas une révolution. Ni prendre la scie sauteuse pour couper tout ce qui dépasse ! Ce n'est pas le but. Dans le cas de la fête nationale, le Te Deum est maintenu, mais c'est l'Eglise qui l'organise. Avant, c'était le gouvernement qui invitait au Te Deum, maintenant c'est le rôle de l'archevêque. La grande cérémonie est désormais une cérémonie civile qui est areligieuse, amilitaire, apolitique. Elle revient tout simplement à fêter le pays ensemble. Pour certains, bien sûr, ça a été à nouveau une révolution que la messe et la parade militaire ne constituent plus l'acte central de la célébration... Mais il est normal selon moi qu'en 2014, 2015, 2016, 2017, la fête nationale de l'Etat soit un événement que l'on célèbre ensemble, autour de la famille grand-ducale, en tant que Luxembourgeois et non-Luxembourgeois, en tant que croyants et non-croyants, militaires et non-militaires.

Emmanuelle Jowa : Stéphane Bern m'avait dit un jour en substance : "On n'a pas besoin de brochure touristique au Luxembourg, la famille grand-ducale est notre brochure touristique." Est-elle le maître atout pour vendre le pays à l'étranger?

Xavier Bettel : Il y a quelques semaines, j'ai assisté avec le couple héritier à des événements internationaux. La princesse Stéphanie a reçu ici la duchesse Kate. La Grande-Duchesse héritière est très engagée au niveau culturel. Le Grand-Duc héritier est très engagé dans les domaines économiques, on va voir des start-up, etc. La famille grand-ducale est un passe-partout qui permet d'ouvrir des portes que nous n'arrivons pas à ouvrir. Dans certains pays, on a des ouvertures qu'on n'aurait pas eues sans eux.

Emmanuelle Jowa : En joue-t-on joue suffisamment?

Xavier Bettel : Si on emmène le couple grand-ducal partout, cela devient moins exceptionnel. Il est important de trouver cet équili.pre et on y travaille en bonne entente. 

Emmanuelle Jowa : Quels sont vos rapports avec Jean-Claude Juncker ? On vous a souvent présentés comme rivaux. Etait-ce difficile de lui succéder? Il apparaît comme un Européen convaincu, d'allure "neutre ", et flamboyant dans sa gestuelle parfois. Comment le décririez-vous?

Xavier Bettel : Je ne dirais pas flamboyant. Aujourd'hui, je pense qu'il est bien à sa place. C'est un Européen convaincu et convaincant. C'est bien d'avoir quelqu'un qui a un caractère fort, qui connaît les dossiers et qui défend les valeurs de l'Europe à la tête de la Commission. Et on s'entend bien.

Emmanuelle Jowa : Vous n'avez ni le même profil, ni les mêmes couleurs.

Xavier Bettel : C'est une force de la politique luxembourgeoise : ce n'est pas parce qu'on n'est pas du même parti qu'on ne se respecte pas. Au Parlement, on n'est pas toujours d'accord, mais une fois qu'on quitte l'enceinte de l'institution, on est quand même des êtres humains.

Emmanuelle Jowa : Le fait que le territoire est petit, et qu'on se côtoie plus, par la force des choses, contraint-il à une meilleure entente? 

Xavier Bettel : Non. On est un Etat comme un autre. J'ai des obligations internationales comme les autres. C'est sûr que la probabilité que je rencontre quelqu'un est plus grande au Grand-Duché de Luxembourg que si j'habitais en Russie. Mais c'est davantage une question de mentalité qui fait qu'on s'entend avec quelqu'un que la proximité physique. Si l'on veut travailler ensemble, si l'on veut s'écouter et se respecter, c'est I'ADN qui importe.

Emmanuelle Jowa : Les attentats récents en Grande-Bretagne ont ravivé encore la question du terrorisme en Europe. Le Grand-Duché, pays de "transit" au centre de l'Europe, est-il, notamment par sa petite taille et son apparente transparence, nettement moins touché par le phénomène des départs en Syrie, des returnees et de la radicalisation obscure que ses voisins, proportionnellement s'entend?

Xavier Bettel : Le Luxembourg n'est pas une île. Chez nous aussi, il y a eu quelques départs en Syrie, mais ils sont très, très rares. Comme tous les Etats, j'ai une obligation de faire le maximum pour que les services qui travaillent dans le contre-terrorisme soient efficaces. Mais je ne peux pas mettre un policier derrière chaque personne. Aujourd'hui, il y a aussi quelques loups solitaires, ou présentés comme tels parfois, qui agissent. C'est difficile à tracer. La question qui se présente est : "Pourquoi ces gens qui sont chez nous, en Belgique ou ailleurs, qui n'avaient pas d'histoire, sont-ils devenus du jour au lendemain des terroristes ?" »

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