Discours du ministre des Affaires étrangères, Lydie Polfer, devant la commission des droits de l'homme des Nations unies

Monsieur le Président,

Permettez-moi de vous adresser mes félicitations et mes vœux pour l’exercice des fonctions aussi importantes que délicates pour lesquelles vous avez été élus.

Je tiens aussi en préambule à rendre hommage à Sergio Vieira di Mello, tué le 19 août dernier lors de l’odieux attentat mené contre le siège des Nations Unies à Bagdad. Nous garderons longtemps en mémoire l’habilité diplomatique et la persévérance de ce dévoué serviteur des Nations unies.

Je saisis également cette occasion pour saluer l’action de Bertrand Ramcharan, qui a assuré sa présente tâche avec dynamisme et éloquence.

Je voudrais enfin adresser mes plus sincères vœux de réussite à Louise Arbour, qui s’apprête à prendre les rênes du Haut Commissariat aux droits de l’Homme. Louise Arbour aura notamment à relever le défi de savoir, selon les situations, doser et proportionner l’action, de savoir convaincre autant que condamner. Le soutien du Luxembourg lui est acquis, tout comme une augmentation des moyens mis à sa disposition.

La participation de femmes à l’exercice de responsabilités reste, y compris à l’ONU, un phénomène trop rare pour ne pas être relevé. A l’initiative de nos hôtes suisses, les femmes élues au poste de ministres des Affaires étrangères se sont réunies hier pour placer la dénonciation de la violence contre les femmes au centre de cette 60ème Commission des droits de l’Homme. Pour être véritablement efficaces ces discussions ne peuvent se faire à l’exclusion des hommes, mais je me réjouis en tant que femme de pouvoir insister aujourd’hui sur cette problématique.

Les droits fondamentaux de millions de femmes continuent à être bafoués, en contradiction flagrante avec les dispositions de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La marche vers une véritable égalité des sexes se heurte à des inégalités subtiles, enracinées dans les mentalités, inscrites dans la vie quotidienne au travail comme à la maison. La violence contre les femmes peut se manifester à tous les niveaux de la société, qu’elle soit verbale, physique, sexuelle, psychologique, économique ou émotionnelle. Les femmes sont les principales victimes de l’analphabétisme, de la violence au foyer et de l’exploitation sexuelle. La semaine dernière, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, le Bureau international du travail a publié un rapport montrant que les femmes sont davantage victimes du chômage, de la précarité, de la pauvreté et des inégalités salariales. Elles constituent également la majorité des réfugiés et des personnes atteintes du virus VIH. D’innombrables fillettes continuent à être victimes de pratiques traditionnelles condamnables, telles les mutilations génitales.

Je réaffirme le plein soutien du Luxembourg à toutes les initiatives onusiennes pour promouvoir et protéger les droits des femmes. Je pense en particulier aux activités du Haut Commissariat aux droits de l’homme ainsi que du rapporteur spécial sur la violence à l’égard des femmes, dont nous fêtons cette année-ci le dixième anniversaire. L’année 2004 ayant été proclamée l’année internationale pour la commémoration de l’esclavagisme, je souhaiterais attirer l’attention sur cette forme contemporaine de l’esclavagisme qu’est le trafic et l’exploitation sexuelle des femmes. Le Luxembourg s’engage à continuer à explorer toutes les voies possibles pour mettre fin à ces pratiques abominables tant au niveau national qu’international.

Mon pays considère que si les droits de la personne humaine sont universels et indivisibles, ils doivent être défendus partout avec la même détermination. Ces droits transcendent les différences culturelles. Je rends hommage à celles et ceux qui luttent avec opiniâtreté contre les différentes formes de discrimination dans leurs pays. Je pense ainsi au prix Nobel de la paix, l’Iranienne Chirine Ebadi. J’insiste qu’il incombe aux gouvernements de prendre des mesures concrètes pour éliminer en droit et en fait les discriminations. Il leur appartient également de faire le nécessaire, à travers la politique d’éducation et des campagnes d’information, pour changer des attitudes sociales datant d’un autre âge.

Le gouvernement luxembourgeois a plus particulièrement fait de la lutte contre la violence domestique une priorité. Celle-ci ne peut être considérée comme une affaire privée. Elle constitue un problème d’ordre public qui se retrouve dans toutes les classes sociales, dans tous les groupes d’âge et dans toutes les cultures.

N’oublions pas que la violence domestique touche également les plus faibles parmi nous, à savoir les enfants, qui sont trop souvent des victimes. Le gouvernement luxembourgeois a pris une série de mesures pour promouvoir des droits de l’enfant. Il a notamment institué un comité luxembourgeois des droits de l’enfant et a lancé maintes campagnes de sensibilisation. A travers le monde, les enfants laissés à l’abandon sont victimes de conflits armés, d’abus sexuels et d’exploitation par le travail. Je lance un appel à ceux des Etats qui n’ont pas encore ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant d’y procéder à leur tour.

Monsieur le Président,

Pour les droits que je viens d’esquisser, tout comme pour les droits de l’Homme en général, il importe que les engagements solennels engagés à cette tribune soient épaulés par des actes concrets. Il est temps dépasser le stade de l'incantation. Tout le monde s’accorde à reconnaître que l’action de cette Commission n’est pas toujours à la hauteur des attentes de l’opinion publique. Toujours très soucieux du crédit des institutions multilatérales, le Luxembourg pays appuie les efforts de réforme visant à mettre pleinement en valeur le potentiel de la Commission des droits de l’Homme.

Permettez-moi de relever maintenant certains sujets qui nous tiennent particulièrement à cœur.

Le Luxembourg souhaite réaffirmer son opposition ferme au recours de la peine de mort. L’abolition de la peine de mort atteste par excellence l’autolimitation de la souveraineté d’Etat face aux droits de l’individu. Nous nous félicitons de la tendance mondiale qui va dans le sens de l’abolition de ce châtiment cruel. Nous exhortons tous les pays à décréter au moins au moratoire qui marquerait la première étape vers son abolition totale.

D’autre part, je me réjouis de l’inauguration de la Cour pénale internationale. Elle peut être assurée du plein soutien du Luxembourg au moment crucial où elle s’apprête à ouvrir ses premières enquêtes et où elle devra démontrer son indépendance et son impartialité. Il s’agit de mettre fin à l’impunité. Mon pays entend promouvoir l’universalité et l’intégrité du Statut de Rome et appel à la ratification à tous les Etats hésitant toujours à le faire.

L'Union européenne se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine. Elle repose sur les principes de démocratie et d'Etat de droit. Je voudrais souligner mon souhait de voir adopter bientôt une Constitution européenne qui incorpore la Charte des droits fondamentaux avec valeur juridique contraignante. Ce serait un message politique important à l'intention des citoyens européens pour réaffirmer les droits fondamentaux qui fondent la construction européenne.

Je voudrais également relever que le Luxembourg est conscient des effets désastreux que peuvent avoir la pauvreté et les catastrophes humanitaires sur la jouissance de certains droits vitaux. Le gouvernement a ainsi très considérablement augmenté les moyens de notre politique d’aide humanitaire et d’aide au développement, dont les fonds dépassent l’objectif des 0,7% du PIB et devraient atteindre sous peu 1% de notre PIB.

Monsieur le Président,

Le débat sur la promotion des libertés individuelles est d’autant plus important que nous devons nous interroger sur les causes profondes du phénomène terroriste. En exprimant un mépris total pour la vie humaine, le terrorisme bafoue de manière barbare et aveugle les droits de l’Homme. Ces images d’horreur que nous a encore fourni l’actualité des derniers jours ne doivent pas nous faire oublier que la lutte anti-terroriste représente un défi pour notre modèle de société, ouvert et respectueux des droits de l’Homme. Les libertés individuelles ne seront jamais un acquis définitif, même dans les sociétés où on les croit les mieux établies. Les droits et libertés ne doivent pas devenir les victimes indirectes du terrorisme. Au contraire, il s’agit de réaffirmer avec force ces valeurs, car elles constituent notre capital moral original qui permet à la réaction au terrorisme de rester crédible et efficace à long terme. La nouveauté de la nature d’un ennemi ne saurait jamais justifier une relativisation de l’Etat de droit et des conventions de Genève.

L’année dernière tous nos regards étaient tournés vers l’Irak. Il importe aujourd’hui de surmonter nos divisions de hier pour veiller ensemble à ce que l’Irak de demain devienne un Etat respectueux des principes démocratiques et des droits fondamentaux de ses citoyens comme de ses communautés ethniques et religieuses.

La région du Moyen-Orient se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Pour aider ces pays à se développer, il ne s’agit pas d’imposer de l’extérieur des solutions toutes faites, mais de répondre aux aspirations profondes des populations. Toute initiative pour faire avancer les libertés individuelles doit se faire sur la base d’un partenariat sincère, impliquant à la fois les gouvernements et la société civile. Il faut à tout prix éviter une approche opposant l’Occident au monde musulman, pour ne pas tomber dans le piège manichéen que nous tendent ceux qui appellent de leurs vœux l’affrontement des civilisations. Au contraire, il s’agira de réaffirmer les principes des droits de l’Homme à travers le dialogue des civilisations.

Ne cédons pas à ceux qui veulent remettre en cause le consensus interculturel sur lequel se fondent les mécanismes internationaux de protection des droits de l’Homme. En tant que valeurs universelles, les droits de l’homme peuvent être porteuses d’union plutôt que de divisions. Ils peuvent rassembler toutes les civilisations. Au-delà des passions et débats souvent animés, aucune autre institution que cette Commission ne peut mieux symboliser la communauté de destin propre à toute l’humanité. J’espère que ses travaux seront guidés par un esprit d’humanisme au service des droits élémentaires de chaque individu.

Je vous remercie.

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