Discours de Lydie Polfer à la 58ème Assemblée générale des Nations Unies à New York, le 22 septembre 2003

Seul le discours prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Délégués,

Les Nations Unies restent en deuil, alors qu’un attentat lâche et inhumain a frappé, le 19 août 2003, le quartier général de l’ONU à Bagdad causant la mort d’une vingtaine de personnes, essentiellement du personnel des Nations Unies, dont M. Sergio Vieira de Mello, le Représentant spécial du Secrétaire général. Aujourd’hui nos pensées vont vers ces victimes qui ont contribué par leur activité, jour après jour, à rendre le monde meilleur au service des idéaux de notre Organisation.

Comme l’a relevé récemment notre Secrétaire général, cet acte horrible soulève d’importantes questions car, et je le cite, "il s’agit d’un défi direct à la vision de la solidarité mondiale et de la sécurité collective ancrée dans la Charte des Nations Unies et exposée dans la Déclaration du Millénaire" (fin de la citation).

C’est notre responsabilité, représentants des nations du monde, réunis actuellement pour cette 58ème session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, que de relever ce défi et d’essayer d’y apporter des réponses constructives qui ouvrent des voies vers l’avenir.

Monsieur le Président,

En présentant voici quelques mois devant le parlement luxembourgeois sa Déclaration de Politique étrangère, dans un contexte marqué par les profondes divisions de la communauté internationale qui ont caractérisé la situation internationale au début de cette année, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Mme Lydie Polfer a développé cette réflexion qui définit en même temps l’approche d’ensemble du gouvernement luxembourgeois à l’égard de la coopération multilatérale – et je cite –

"A l’occasion des débats sur l’Irak, les uns et les autres ont beaucoup débattu du rôle et de la crédibilité de nos institutions communes.

Ont-elles montré leurs limites, ont-elles cessé de fonctionner, sont-elles toujours adaptées à notre époque ? Le multilatéralisme est-il toujours de notre temps ?

Je voudrais apporter une réponse claire à cette question. Oui. Plus que jamais, nous avons besoin d’instances multilatérales qui nous permettent d’œuvrer en commun pour que le droit international soit établi et respecté, avec des règles et procédures internationales garantissant le respect des droits de l’homme et régissant la vie commune de tous les Etats, quelle que soit leur taille. Ce n’est pas un vœu pieux, mais c’est de notre intérêt...

Il nous faut donc non seulement accompagner le développement de ces institutions, mais participer activement à  leur renforcement par une collaboration engagée et constructive.

Les Nations Unies sont, bien entendu, le premier lieu où une telle collaboration doit se réaliser."

(Fin de citation).

Mais si la coopération multilatérale reste pour nous la voie privilégiée pour aborder les multiples dossiers internationaux de l’heure, nous nous devons de nous pencher sur les modalités et conditions de cette coopération pour la mettre en phase avec l’évolution du monde et pour ainsi définir un nouveau multilatéralisme pour le XXIe siècle et ainsi repenser les conditions d’une nouvelle gouvernance mondiale.

Dans cette démarche, la Déclaration du Millénaire définit une feuille de route incontournable, qui nous permet de galvaniser les énergies de la communauté internationale autour d’un certain nombre d’objectifs précis et quantifiés.

Parmi les avancées récentes, je voudrais relever tout particulièrement les travaux entrepris lors de la 57ème session ordinaire de l’Assemblée générale sous l’inspiration du Président Kavan – dont nous saluons l’action innovatrice à la présidence de l’AG -, ou encore la réflexion lancée par le rapport Brahimi sur les opérations de paix.

Tout n’est cependant pas encore achevé et le diptyque formé par les récents rapports du Secrétaire général sur l’application de la Déclaration du Millénaire (A/58/323) et sur le renforcement de l’ONU (A/57/387) nous fournissent à la fois un cadre analytique et un plan d’action opérationnel de toute première importance, dont il convient d’assurer un suivi concret.

Les Nations Unies doivent rester le forum privilégié pour aborder les défis qui se posent à l’humanité et pour rechercher des solutions communes.

Pour reprendre la formule expressive de M. Kofi Annan "le défi qu’il nous faut relever consiste à renforcer notre capacité d’action collective et à forger ainsi un destin commun dans un monde en mutation de plus en plus rapide" (fin de citation).

Il faut conforter le statut du droit international, tout en le développant pour tenir compte de situations et de contextes nouveaux. Nous le faisons avec succès dans les domaines de la protection des droits de l’homme, de la lutte contre le terrorisme, de l’environnement, dans d’autres domaines encore. L’entrée en fonction de la Cour Pénale Internationale (C.P.I.) constitue une étape majeure que nous saluons et dont nous attendons qu’elle puisse rapidement et pleinement entamer son activité selon les termes de son statut. Nous appelons tous les Etats membres de notre organisation à adhérer à ce statut afin de donner à la C.P.I cette universalité qui lui permettra d’affronter l’impunité dans les crimes les plus graves.

Il faut poursuivre avec détermination et courage l’effort de réforme et de revitalisation de nos institutions. Beaucoup a déjà été fait, notamment grâce aux efforts de notre Secrétaire général pour ce qui est du Secrétariat, dont les structures ont été modernisées et les procédures rationalisées, même si l’effort mérite d’être poursuivi, notamment en matière financière, budgétaire et de gestion.

C’est à juste titre que notre attention a été attirée la semaine dernière par le Secrétaire général sur l’indispensable rénovation des organes intergouvernementaux de notre organisation, que ce soit le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale ou encore le Conseil économique et social.

S’agissant plus particulièrement de l’Assemblée générale, vous-même, Monsieur le Président -à qui j’entends exprimer toutes mes félicitations pour votre accession à cette fonction importante -, avez soumis un certain nombre d’initiatives destinées à revitaliser notre rencontre annuelle afin de lui redonner cette place centrale qui devrait être la sienne en tant que lieu primordial de rencontre, de débat et de synthèse de la communauté internationale.

Soyez assuré qu’en tant que Vice-président de l’Assemblée générale, le Luxembourg apportera son plein appui à vos efforts !

Pouvoir travailler selon des méthodes de travail rénovées, sur un ordre du jour allégé et centré sur les véritables exigences de l’heure, nous parait une condition essentielle d’une insertion accrue, et partant, d’une plus grande pertinence de l’Assemblée générale dans le débat international.

Dans un autre domaine également, des progrès importants ont été accomplis : le maintien et la consolidation de la paix. La présentation en l’an 2000 du rapport Brahimi a lancé un processus de réflexion et de débat particulièrement intense et a conduit à la prise d’un certain nombre de décisions cruciales pour une conduite plus efficace des opérations de paix. L’adoption de la résolution 1327 du Conseil de sécurité et de la résolution 337 sur la prévention des conflits armés par l’Assemblée générale, le 3 juillet 2003, constituent des événements particulièrement significatifs que nous saluons et dont nous soutenons la mise en œuvre concrète et pratique.

Si le débat a considérablement évolué sur les plans politique et conceptuel, il faut mettre en exergue l’admirable action conduite par les Nations Unies sur le terrain, et ce dans des conditions souvent difficiles. Il convient de rappeler qu’actuellement notre organisation gère de par le monde une quinzaine d’opérations de maintien de la paix mobilisant près de 40.000 casques bleus et personnels civils. Nous pouvons tirer une légitime fierté, sans complaisance aucune, de cette action, et les missions conduites au Timor oriental, au Kosovo et en Sierra Leone ont illustré l’impact décisif que l’ONU peut avoir quand elle dispose de mandats clairs et de moyens adéquats.

Là encore, beaucoup reste à faire et les situations difficiles que continuent à connaître des pays comme l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, le Libéria ou encore la région des Grands lacs, sans omettre ce qu’il est convenu d’appeler les "conflits oubliés", continuent à exiger une attention accrue de la communauté internationale. En contribuant à l’effort commun, en particulier au Kosovo et en Afghanistan, le Luxembourg s’est montré prêt à assumer sa part de responsabilité dans ce contexte.

Une attention particulière devra être accordée à l’avenir à la problématique de la transition entre l’intervention dans l’urgence, dans des situations de crise, et la gestion des contextes post-conflictuels. Intégrer toutes les dimensions notamment politique, humanitaire, sécuritaire et économique dans une même approche, perfectionner les instruments et les méthodologies adaptées à ce type de défi nous semble constituer une tâche urgente et nécessaire.

Monsieur le Président,

Le gouvernement luxembourgeois est animé de la conviction que la noble tâche de la préservation de la paix doit être fondée sur une conception large et complexe de la sécurité. En effet, aux risques de confrontations militaires traditionnelles se sont ajoutées des menaces nouvelles, parmi lesquelles le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive se placent au tout premier plan.

Deux ans après les attentats meurtriers du 11 septembre qui ont suscité une émotion universelle, nous pouvons constater que de grands progrès ont été accomplis en matière de lutte contre le terrorisme. Une position de principe ferme et une approche multidimensionnelle restent indispensables pour appréhender et combattre ce phénomène diffus et destructeur. Le Luxembourg entend prendre toute sa part dans cet effort qui doit être poursuivi sans relâche et dans le contexte duquel notre organisation joue un rôle majeur.

Les risques de prolifération des armes de destruction massive continuent à susciter des préoccupations légitimes auprès de nos populations. Les responsables politiques du monde entier ont la responsabilité d’affronter cette menace sérieuse pour la paix et la sécurité en mettant en place et en renforçant les régimes internationaux indispensables pour y faire face. L’Union européenne, quant à elle, a décidé, sur base de la Déclaration du Conseil européen de Thessalonique, de développer une stratégie à long terme contre la prolifération et elle a d’ores et déjà adopté des principes de base et un plan d’action concret pour donner corps à cette stratégie.

De même, les efforts internationaux de limitation et de réduction des armements, notamment les armes de petit calibre, doivent être poursuivis et amplifiés.

Mais devant l’urgence immédiate et tragique des conflits violents et des attentats terroristes, il ne faudrait pas perdre de vue une autre cause, plus structurelle, d’instabilité et d’insécurité à l’échelle globale, je veux parler de la réalité persistante de la pauvreté et du sous-développement. Dans un monde où chaque année encore près de 15 millions d’enfants de moins de 5 ans meurent des suites de la misère, il ne saurait y avoir de relâche dans le combat pour le développement. La Déclaration du Millénaire, les conclusions du Sommet de Johannesburg, le Consensus de Monterrey nous ont montré le chemin à suivre et les objectifs à atteindre pour mettre en place un véritable partenariat mondial pour le développement.

Les dimensions de cette problématique primordiale sont multiples et interdépendantes et nous n’en citerons que trois :

  • La lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose, dans laquelle le Luxembourg s’est vigoureusement engagé et qui a été, à juste titre, au centre de l’attention lors du débat plénier à haut niveau qui a introduit la présente session de l’Assemblée générale.

  • Le commerce international : à cet égard, l’échec de la 5e Conférence ministérielle de l’OMC de Cancún constitue indéniablement une grande déception. Si nous voulons arriver à un système commercial équilibré et plus juste, nous devons impérativement reprendre le dialogue sur les objectifs à atteindre et la voie pour y arriver.

  • Enfin, le financement du développement, qui, d’après le rapport sur le suivi du Sommet du Millénaire, reste "nettement inférieur à ce qu’il devrait être pour que les objectifs puissent être atteints", même si l’on peut se féliciter d’une reprise récente du volume de l’A.P.D. Pour sa part, le Luxembourg participe à cet effort de solidarité mondial en consacrant plus de 0,8% de son revenu national brut à l’aide publique au développement, comptant par ailleurs atteindre l’objectif d’un pourcent vers la moitié de la décennie.

Si le développement reste le nouveau nom de la paix, nous ne devons pas perdre de vue d’autres facteurs d’instabilité que sont les problèmes écologiques, les nouvelles maladies contagieuses, la criminalité transnationale et la corruption, et enfin, les violations graves et répétées des droits de l’homme et des menaces contre la démocratie et la bonne gouvernance.

N’oublions pas à cet égard les sages paroles de M. Annan selon lesquelles "un plus grand respect des droits de l’homme, plus de démocratie, plus de justice sociale seront, à long terme, la prophylaxie la plus efficace contre la terreur".

Face à ces menaces multiples et diverses, la définition d’un véritable "programme de sécurité commun" à l’échelle mondiale, défini au sein des instances multilatérales, constitue un objectif primordial. L’Union européenne, cet acteur international qui est actuellement engagé dans un vaste processus d’élargissement et d’approfondissement constitutionnel, a amorcé la discussion d’un concept stratégique de sécurité et de défense qui ne manquera pas de constituer un apport majeur au débat international en la matière.

Monsieur le Président,

Depuis plus d’un an, l’attention internationale s’est à nouveau concentrée sur la situation en Irak. Inutile, je crois, de retracer devant cette audience la suite des évènements qui a conduit au printemps de cette année au déclenchement de la guerre dans cette  région meurtrie du monde. Nous gardons tous le souvenir des divisions profondes qui se sont manifestées au sein de la communauté internationale pendant cette période, divisions qui ont menacé d’ébranler les bases même de notre organisation. Indépendamment de la posture que nous avons pu, les uns et les autres, adopter à l’occasion de ces évènements, il nous faut désormais diriger le regard vers l’avant pour déterminer les perspectives d’un avenir meilleur pour le peuple irakien. Tel est l’objectif qui doit désormais nous réunir.

Nous gardons cette conviction fondamentale que dans ce contexte les Nations Unies doivent jouer un rôle central, et ce sur base d’un mandat clair et substantiel et doté des moyens adéquats. Alors qu’il revient en premier lieu au peuple irakien de décider de son avenir, nous nous retrouvons tous sur le constat qu’un transfert aussi rapide que possible de la souveraineté aux Irakiens eux-mêmes doit être mis en œuvre.

Dans cette phase de transition et de reconstruction à la fois politique, socio-économique et diplomatique, un processus rapide et graduel de transfert des pouvoirs et des responsabilités à des institutions légitimes et reconnues par le peuple irakien doit être mis en place. Ce processus devra comprendre notamment la rédaction et l’adoption d’une nouvelle Constitution et la tenue, dès que les conditions seront réunies, d’élections démocratiques libres. Parmi les conditions de base qui doivent soutenir ce processus citons le rétablissement des conditions de vie essentielles et de la sécurité dans la vie quotidienne des Irakiens, la reconstruction des infrastructures de base ainsi qu’une relance rapide de l’activité économique.

Si une responsabilité première revient dans ce contexte au Conseil de sécurité et à ses membres, la renaissance d’un Irak indépendant, démocratique, prospère et pacifique est un intérêt partagé par tous les Etats membres de notre organisation. De concert avec ses partenaires de l’Union européenne, le gouvernement luxembourgeois reste confiant qu’à travers une large mobilisation la communauté internationale pourra apporter un appui décisif à cet objectif.

Année après année, notre Assemblée générale doit se préoccuper de la situation au Moyen-Orient et notamment du conflit israélo-palestinien, tant les progrès vers une paix juste et durable restent difficiles. Même devant le regain des tensions et les actes de violence et de terrorisme répétés que nous dénonçons avec indignation, nous avons le devoir et la responsabilité de persévérer dans la recherche de solutions permettant de fonder la réconciliation entre les Etats et les peuples de la région. Il ne saurait y avoir de "fatigue" dans la recherche de la paix ! L’Union européenne reste prête et déterminée à jouer son rôle, notamment à travers son action au sein du Quartette. Nous restons convaincus que la voie tracée par la Feuille de route reste la voie adéquate pour sortir de l’impasse actuelle. Encore faut-il que tous les acteurs directement concernés fassent preuve de bonne foi et de la volonté de relancer le processus de paix en créant les conditions de confiance et de sécurité indispensables. C’est-là l’appel urgent que nous leur lançons, c’est-là la tâche urgente à laquelle nous devons nous atteler.

Monsieur le Président,

Face aux guerres et aux conflits violents, face aux menaces nouvelles, face aux violations des droits de l’homme, face à la pauvreté et au sous-développement, le droit et le multilatéralisme sont un recours parfois fragile, mais néanmoins irremplaçable pour les nations. S’il convient d’essayer de remédier avec énergie aux faiblesses et insuffisances de la coopération multilatérale, celle-ci reste une source d’espoir pour les hommes et les femmes du monde entier. Cet espoir nous ne pouvons pas le décevoir, telle est la responsabilité première qui nous incombe lors de cette 58ème session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies !

Je vous remercie de votre attention.

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